Obsessions bis by Christophe Bier

Auteur:Christophe Bier [Christophe Bier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Dilettante
Publié: 2023-12-15T00:00:00+00:00

Non coupable (1947), d’Henri Decoin. DVD/Blu-ray Coin de Mire Cinéma, 2019.

Émission du 19 octobre 2019

68. Sartre, personnage de BD

Le strabisme accentué, les triples bajoues et le menton en escampette font de Jean-Paul Sartre le narratoriste existentialettre idéal d’Un air de gravité, nouvelle BD de Foerster. Juché en couverture sur la coquille d’un hippocampe-l’ermite géant, il est un ayant-été d’Achéron-la-Blême, ville-sépulcre de l’éternel repos, bâtie le long du Styx dans les crânes fossilidés de colosses disparus. Attention aux Nevermore, sphinges noires véloces comme des ptérodactyles ; elles veillent sur l’île des morts, siège d’une grande pondeuse faucheuse. L’artiste donne son interprététition de l’au-delà, un étrennel enfer dont les ayant-été ne peuvent s’échapparder, au risque de se lovecraftiser en hybrides pescadés, ou de s’escargoter en crocequillages, âmes déchues roucoulotant des bribes incohérentes de leur vie. Je m’excruse, mais le langage flatugeolant du cervelard abîmoché de Sartre déteint par moments sur ma chroniquette. À sa ligne, si peu claire mais digne des EC Comics cauchemartudesques, le belge dessinatier ajoute une écrivelure expressionniste, aussi avaricellée que les trois existences lamentables narrotées par Sartre. Les dents-pyramides d’Imogène Fessedange sont les premières affres de la malédiction d’un dieu-scarabée égyptien et d’une momie lyophilisée, l’implacable chute est cruelle comme une nouvelle de Fredric Brown. Gerbin Giboyau, un SDF rongé par son cocufiage, sera atteint de Noëlose, un virus aux effets sidérapants. C’est enfin dans un cirque de freaks, exploitant les mutants irradiés de Tchernobourg, apparus dans l’album précédent, Le Confesseur sauvage, que le nain Hippolyte Cancrelot, subsistant en geek, un faux sauvage décapitoyant à la mâchoire des poulets vivants, connaîtra sa fatale issue en découvrant le monstre foerstérien le plus glaçant et bouleversant de son humanité souffrante : Ulysse, un enfant-œil dépourvu du rire, dans la pupille duquel se reflète le sentiment d’une profonde gravité. Si la momie Rastapharaptou ressuscite un bestiaire fantastique classtoque, Foerster s’inspire aussi de nos peurs modernes, pandémiques, écologiques, économiques et spirituelles. Le déclassement et la dépression y rôdent en prédateurs. La moraline est épinglée pour ce qu’elle est, une violente hypocrisie. Le nain Hippolyte est au chômage, parce qu’il faisait l’homme-obus, pratique désormais interdite car jugée irrespectueute des minorités handicapettes. Le propos de Foerster est décapitant, d’une affolante gravitoté, mais la mort sur les rives du Styx semble une vie paisible comme un dimanche et vous riez aux éclats pour peu que l’escrivoteur Sartre, formidable amuseur, vous conte les nauséeux destins des futurs ayant-été.

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